“Ces résistants n’ont jamais revu le pays de Redon : un livre-enquête retrace leur histoire”

Alexandre Stephant consacre un article à Philippe Pussat pour son livre “Résistants : 7 destins croisés. Récits et enquêtes“, édité avec le concours de La Brodeuse de Mots et présenté pour la première fois hier à Allaire (56), article pour le journal Ouest-France, à découvrir en ligne ici.

Ces résistants n’ont jamais revu le pays de Redon : un livre-enquête retrace leur histoire

​Philippe Pussat a mené un vaste travail d’enquête sur le parcours de son grand-père résistant et de ses six compagnons d’infortune, arrêtés par les Allemands en juin 1944 près de Redon, puis déportés. Une somme de 520 pages vient ainsi éclairer cette page d’histoire locale ou le non-dit et les silences sont parfois pesants.

Le château de Boro à Saint-Vincent-sur-Oust a été pendant la guerre le quartier général des Allemands durant la guerre. C’est là que se déroulaient les interrogatoires musclés.
Le château de Boro à Saint-Vincent-sur-Oust a été pendant la guerre le quartier général des Allemands durant la guerre. C’est là que se déroulaient les interrogatoires musclés. | ARCHIVES OUEST FRANCE

« Cette histoire familiale m’intrigue depuis l’adolescence alors que je voyais chaque jour dans le jardin familial de Redon cette plaque noire aux lettres dorée : Édouard Pussat, Ravensbrück. »

Durant des décennies, Philippe Pussat, retraité de la métallurgie a cherché à démêler le fil de l’histoire qui a amené son grand-père dans un des camps de la mort.

L’arrestation et la déportation d’Eugène Renaudeau, Gustave Cheval, Honoré Dayon, Prosper Thébault, Jean Thébault, Édouard Pussat et Aristide Thébault sont au cœur de l’ouvrage de Philippe Pussat. | COLLECTIONS FAMILIALES

« Mon père se mettait à pleurer en évoquant le sujet »

Au sein de la famille, le souvenir est douloureux. « J’ai posé des questions à mon père. Il avait du mal à en parler car, à 14 ans, il avait vu son père se faire enlever par les Allemands. Il se mettait à pleurer quand on évoquait le sujet. »

Après des années de recherches et en compilant les trésors trouvés dans les greniers, Philippe Pussat tenait la trame de la fin tragique de son grand-père et de six autres résistants arrêtés dans le pays de Redon entre les 14 et 17 juin 1944.

Élisabeth Thébault, Eric Renaudeau, Philippe Pussat, Jean-Claude Couillaud et Daniel Dayon, descendants des sept résistants du pays de Redon, arrêtés et déportés en 1944. | OUEST-FRANCE

Sept résistants arrêtés après le Débarquement

« Avec le Débarquement, les Allemands étaient sur les dents. Sous le prétexte d’un parachutage allié, ils ont voulu frapper fort. »

C’est ainsi que, le 14 juin, Honoré Dayon, Gaston Cheval, Eugène Renaudeau et donc Édouard Pussat, pour la plupart présents à la ferme des Grées des Rosaies à Béganne, ont été arrêtés. Trois jours plus tard, Prospère, Aristide et Jean Thébault, le seront à la ferme du Plessis Limur à Rieux.

« Interrogés et torturés au château de Boro »

Direction le château de Boro, à Saint-Vincent-sur-Oust, QG de la Gestapo.

« Ils ont été interrogés et torturés avant d’être transférés au camp Margueritte à Rennes puis à Compiègne puis à Neuengamme et Sandbostel. Seul Jean Thébault reverra le pays de Redon », raconte Élisabeth Thébault, petite-fille de ce dernier.

L’histoire de ces Résistants affiliés au réseau d’évasion Var ou au Front national de lutte pour la libération, proche du PCF, est encore vivante dans le canton d’Allaire. Ses détails un peu moins ou souvent tus.

« Les Allemands ont été aidés »

C’est tout le travail de Philippe Pussat entamé lors du confinement et de l’ouverture des archives, après 75 ans sous clés. Pour rédiger un livre, il mène une véritable enquête y compris de terrain.

« Les Allemands n’ont pas pu mener seuls toutes les arrestations, ils ont été aidés. Les recherches montrent qu’un aviateur déserteur hollandais ainsi qu’un Belge ont dénoncé nos aïeux. Ils étaient justement hébergés dans les fermes. C’était l’une des façons de résister que d’aider les réfractaires au STO et les déserteurs », rappelle l’historien amateur.

Non-dits et silence dans une période troublée

Parfois, recouper les informations fait ressurgir un passé trouble qui fait la part belle aux non-dits, au silence mais aussi aux questions.

« Le maire de Béganne, ouvertement pétainiste, décoré de la francisque, dont le frère a été arrêté comme les autres puis libéré, a-t-il joué un rôle dans ces arrestations ? Officiellement il a été acquitté en 1946 alors que la France voulait tourner la page de la guerre », relate Philippe Pussat.

Six fusillés et un inconnu

L’histoire de ces sept Résistants a été la motivation première du lancement des recherches. Mais en déroulant le fil de l’histoire, le retraité s’est aussi intéressé à l’exécution, le 22 juin, des six derniers détenus du funeste château de Boro qui aurait vu passer une quarantaine de détenus.

« Ces six hommes, soi-disant combattants de Saint-Marcel, ont été transportés au bois de la Grée de Houssac pour y être fusillés avant le départ des Allemands. Malgré les mutilations volontaires, cinq ont pu être identifiés. Je crois avoir retrouvé qui est le sixième, jusqu’alors sans nom, grâce à la validation de la famille. Cet habitant de Questembert repose à l’ossuaire de Sainte-Anne. »

D’autres histoires locales dans la grande Histoire ont attiré l’attention de Philippe Pussat qui a consigné ses enquêtes et ses trouvailles dans un livre de 520 pages : Résistants, 7 destins croisés, avec une contextualisation du déroulé de la guerre.

« Un ouvrage qui était nécessaire »

« C’est un ouvrage qui était nécessaire, souffle Eric Renaudeau, petit fils d’Eugène. On ne peut pas juger les uns et les autres avec notre regard d’aujourd’hui. Établir les faits, raconter l’histoire de nos familles sans interpréter était indispensable. On ne peut que saluer la démarche de Philippe. »

La famille Renaudeau va justement se rendre dans le camp allemand pour « voir l’endroit où mon grand-père a fermé les yeux pour la dernière fois ». Une démarche que la génération d’avant n’a pas forcément eue la force de faire.

« Mettre en lumière ces hommes dans les communes »

« Aujourd’hui, je voudrais que ce travail d’enquête soit aussi reconnu par les pouvoirs publics locaux. Certaines communes ont déjà mis en lumière ces hommes avec des noms de rues, d’école, qui permettent de ne pas oublier cette page de l’histoire locale. Ce n’est pas le cas de toutes », ne manque pas de souligner Philippe Pussat, plutôt heureux d’avoir pu boucler pour l’anniversaire du Conseil national de la Résistance.

Des rencontres dans les communes

L’auteur a choisi, pour l’heure, de ne pas proposer l’ouvrage à la vente en librairie. « Je vais faire la tournée des communes concernées pour permettre l’échange et, pourquoi pas, la libération de la parole. J’aime bien l’idée de le mettre en vente dans les cafés ou petits commerces dans ce souci de proximité », conclut Philippe Pussat.

Résistants, 7 destins croisés aux éditions La brodeuse de mots. 520 pages (30 €). Contact et commandes : jhapege.resistants@orange.fr et 07 86 19 58 23. Prochaine rencontre : samedi 18 février, à 10 h 30 à la médiathèque de Rieux.

______
Philippe Pussat, “Juin 1944 – Canton d’Allaire – Morbihan – Résistants : 7 destins croisés – Récits et enquêtes“, format A5, 522 pages, Nîmes : La Brodeuse de Mots, 30 €.  ISBN : 978-2-490468-08-9. Sortie 21 janvier 2023. Disponible auprès de l’auteur jhapege.resistants@orange.fr / 07 86 19 58 23.

Vous pourriez également aimer...