Notre auteur Tarik Yildiz était hier, mercredi 18 octobre 2023, invité de l’émission Les Matins présentée par Gillaume Erner sur France Culture.
Après l’attaque du Hamas et l’assassinat du professeur Dominique Bernard par un terroriste islamiste, la communauté musulmane française est de nouveau sous le feu des projecteurs. Comment vit-elle cette exposition médiatique et politique à chaque attentat terroriste islamiste ?
Avec : Ghaleb Bencheikh Islamologue, président de la Fondation de l’islam de France et producteur de l’émission “Questions d’islam“, le dimanche de 7h05 à 8h sur France Culture & Tarik Yildiz sociologue
L’assassinat de Dominique Bernard vendredi dernier à Arras, a réveillé la menace qui plane sur la communauté musulmane française depuis maintenant une décennie. Stigmatisation, amalgame, islamophobie, … les musulmans de France doivent-ils craindre un rejet national sur fond de guerre entre l’Israël et le Hamas ? Pour comprendre la complexité de la communauté musulmane et son organisation au sein de la République française, nos invités ce matin sont Ghaleb Bencheikh, islamologue, président de la Fondation de l’Islam de France et producteur de l’émission « Questions d’islam » le dimanche à 7h05 sur France Culture et Tarik Yildiz, sociologue et auteur notamment de « Qui sont-ils ? Enquête sur les jeunes musulmans de France » (Ed. du Toucan, 2016) et « De la fatigue d’être soi au prêt à croire. Lutter contre la délinquance pour combattre le radicalisme islamiste » (Ed. du Puits de Roulle, 2020).
Un sentiment d’horreur partagé
Ghaleb Bencheikh, islamologue et président de la Fondation de l’islam de France, évoque les réactions qu’il a perçues dans la communauté musulmane française vis-à-vis des événements récents : “je n’ai pas vocation à parler au nom des musulmans de France. Mais aujourd’hui, les musulmans de France sont horrifiés, atterrés. L’horreur véritable a surgi le 7 octobre. Au-delà de l’émotion, il nous faut raisonner : aucune cause ne justifie la mort de civils. On ne peut pas s’en prendre aux populations civiles”. Il préconise ensuite une séparation des types d’attaques et des contextes dans lesquels elles s’inscrivent : “la lucidité recommande ensuite de distinguer les registres. Le terrorisme qui a frappé Arras ou Bruxelles et le cas israélo-palestinien ne sont pas les mêmes. Dans le dernier cas, il faut ramener ces événements à leur matrice, c’est-à-dire les affres de l’oppression. Si nous ne voulons pas que ce conflit perdure, il faut s’attaquer à ces causes”.
Les autorités musulmanes en ont-elles fait assez pour lutter contre ces dérives ?
Certaines organisations musulmanes, comme le collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) désormais à Bruxelles, sont pointées du doigt pour leur participation à ce que certains appellent un “djihad d’atmosphère”. Ghaleb Bencheikh regrette d’une part que le terme “djihad” ne revête plus son sens originel, qui faisait référence aux luttes personnelles contre ses mauvais penchants. D’autre part, il s’en prend au manque de sensibilisation et d’éducation de la part de certaines institutions musulmanes sur les événements actuels : “aujourd’hui, le terme “djihad” devient synonyme d’une sacralisation de la violence. Les combats menés par le Hamas ou ceux des terroristes d’Arras et de Bruxelles doivent être critiqués par les théologiens et les intellectuels musulmans. De même, les institutions musulmanes doivent condamner le répréhensible quand elles le peuvent, ce qui les rend plus crédibles à évoquer l’ “islamophobie” lorsque les musulmans sont victimes d’attaques ciblées” .
Les musulmans de France, une catégorie hétérogène
La catégorie des “musulmans” de France est cependant marquée par une forte hétérogénéité que rappelle le sociologue Tarik Yildiz : “j’ai envie de citer Bourdieu qui disait que la jeunesse n’est qu’un mot. J’ai envie de dire la même chose pour les musulmans, tant la diversité est énorme et les trajectoires différentes. Il y a certains traits communs mais il s’agit d’une population d’environ 5 millions de personnes. J’évite souvent de dire “les musulmans” en raison de cette diversité. Il y a des manières de catégoriser, de typologiser les musulmans : en disant comment on considère par exemple les attaques du Bataclan, selon une condamnation radicale, ou un soutien formel qui représente une minorité.” Ghaleb Bencheikh évoque quant à lui la réception de l’actualité israélo-palestinienne : “hélas, le conflit est déjà importé en France. Ce qui se dégage, c’est qu’il n’y a aucune raison de faire porter aux Juifs de France la responsabilité de ce qu’il se passe là-bas. De plus, la solidarité confessionnelle ne doit pas être inconditionnelle. Enfin, il faut canaliser cette émotion et d’exprimer la manière dont les civils paient le lourd tribut de ce conflit”.